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samedi 28 mars 2015

l'échiquier

Pendant quelques minutes Alice demeura sans mot dire, à promener dans toutes les directions son regard sur la contrée qui s'étendait devant elle et qui était vraiment une fort étrange contrée. Un grand nombre de petits ruisseaux la parcouraient d'un bout à l'autre, et le terrain compris entre lesdits ruisseaux était divisé en carrés par un nombre impressionnant de petites haies vertes perpendiculaires aux ruisseaux.
"Je vous assure que l'on dirait les cases d'un vaste échiquier ! finit par s'écrier Alice. Il devrait y avoir des pièces en train de se déplacer quelque part là-dessus – et effectivement il y en a ! ajouta-t-elle, ravie, tandis que son cœur se mettait à battre plus vite. C'est une grande partie d'échecs qui est en train de se jouer – à l'échelle du monde entier – si cela est vraiment le monde, voyez-vous bien.
Oh ! que c'est amusant ! Comme je voudrais être une de ces pièces-là ! Cela me serait égal d'être un simple Pion, pourvu que je pusse prendre part au jeu... mais, évidemment, j'aimerais mieux encore être une Reine."
En prononçant ces mots elle lança un timide regard à la vraie Reine, mais sa compagne se contenta de sourire aimablement et lui dit : "C'est un vœu facile à satisfaire. Vous pouvez être, si vous le désirez, le Pion de la Reine Blanche, car Lily est trop jeune pour jouer. Pour commencer, vous prendrez place dans la seconde case ; et quand vous arriverez à la huitième case, vous serez Reine..." À ce moment précis, on ne sait trop pourquoi, elles se mirent à courir.
Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir, 1871
(traduction de Henri Parisot, Aubier-Flammarion, 1971)
source la BNF

jeudi 5 mars 2015

après l'arrivée du jeu en Occident

Dès l'arrivée du jeu en Occident, de nombreuses légendes ont circulé, élevant le "roi des jeux" au rang de mythe : Achille, Ulysse, le roi Salomon, Alexandre le Grand, le roi Evilmodorach de Babylone, le roi Arthur. Dans l'imaginaire médiéval, les échecs s'imposent comme le "jeu des rois", avant d'être la distraction favorite de Philippe II d'Espagne, Charles V ou Napoléon. Une de ces légendes voulait que les prestigieuses pièces d'échecs conservées au trésor de Saint-Denis aient été offertes par le calife de Bagdad, Haroun Al-Rachid, au demeurant grand amateur d'échecs, à Charlemagne pour son couronnement. Mais l'Empereur, qui régnait autour de 800, n'a pas connu ce jeu, introduit en Occident deux siècles plus tard. En réalité, ces pièces ont été taillées en Italie méridionale, vraisemblablement à Salerne, à la fin du XIe siècle. Les échecs "de Charlemagne" comptent parmi les plus beaux objets en ivoire du Moyen Âge. L'exploration de six pièces permet d'en observer les détails. Associer ainsi le jeu au souvenir du grand empereur, c'est dire le prestige dont jouissent les échecs, à la fois roi des jeux et jeu des rois. C'est dire aussi leur valeur symbolique que les artistes sauront s'approprier. Dès le Moyen Âge, les échecs entrent ainsi en littérature. Les romans de chevalerie mettent en scène de nombreuses parties d'échecs. Mais ce sont les auteurs modernes, comme Carroll, Zweig, Nabokov ou Perec, qui offrent aux échecs leurs véritables "lettres de noblesse".
source: la BNF

mardi 17 février 2015

naissance d'un joueur

"Non, dit Loujine, je veux jouer aux échecs.
– C'est compliqué, mon chéri, on ne peut pas apprendre en une seule fois." Il alla vers le bureau de son père, y trouva le coffret posé derrière un portrait. Sa tante se leva pour prendre un cendrier et, tout en chantonnant, elle laissa paraître sa préoccupation : "Ce serait horrible, ce serait horrible... – Voilà ! dit Loujine en posant la boîte sur un petit guéridon turc à incrustations. – Il faudrait aussi un échiquier, dit-elle. Tu sais, j'aime mieux t'apprendre à jouer à "qui perd gagne", c'est plus simple. – Non, aux échecs, dit Loujine, et il déplia l'échiquier de toile cirée. – Plaçons d'abord les pièces, dit sa tante en soupirant, les blanches ici, les noires là. Le roi et la reine l'un à côté de l'autre. Ça, ce sont les officiers. Ça, les chevaux. Et ceci, sur le côté, les canons. Maintenant..." Elle s'immobilisa soudain, tenant une pièce en l'air, et regarda du côté de la porte. "Attends, dit-elle, l'air inquiet. Je crois que j'ai oublié mon mouchoir dans la salle à manger. Je reviens tout de suite." Elle entrouvrit la porte, mais revint aussitôt. "Tant pis, dit-elle en se rasseyant. Non, ne place pas les pièces sans moi : tu embrouillerais tout. Ceci s'appelle un pion. Maintenant, regarde comment on les fait bouger. Le cheval galope, naturellement." Assis sur le tapis, son épaule frôlant le genou de sa tante, Loujine regardait sa main, parée d'un fin bracelet de platine, soulever et placer les figurines. "La reine est la plus mobile", dit-il avec satisfaction, et il rectifia du doigt la position de la pièce qui n'était pas tout à fait au milieu de la case. – Et maintenant, voilà comment ils prennent, expliquait sa tante, comme s'ils se poussaient, tu comprends ? Et les pions le font comme ceci : de côté. Lorsqu'on ne peut plus se fourrer nulle part, cela s'appelle "mat". Tu dois, par conséquent, prendre mon roi, et moi le tien. Tu vois comme c'est long à expliquer. Si l'on jouait une prochaine fois, hein ? – Non, tout de suite", dit Loujine.
Vladimir Nabokov, La Défense Loujine, 1930
(traduction par Genia et René Cannac revue par Bernard Kreise, 1974, Gallimard, "Folio", pp 51-52
source BNF

interruption de la partie

Turati se décida enfin – et aussitôt une sorte de tempête polyphonique se déchaîna sur l'échiquier. Loujine y cherchait avec opiniâtreté la petite note dont il avait besoin pour en tirer, à son tour, en l'amplifiant, un tonnerre d'harmonies. Maintenant l'échiquier respirait la vie, tout y était concentré sur un point déterminé, tout s'y resserrait de plus en plus ; la disparition de deux pièces apporta une accalmie passagère, puis éclata un nouvel agitato. La pensée de Loujine errait dans des ténèbres à la fois attrayantes et horribles, elle y rencontrait parfois la pensée inquiète de Turati, qui cherchait ce qu'il cherchait lui-même. Les deux joueurs comprirent en même temps que les blancs ne devaient plus persévérer dans leur projet : ils risquaient de perdre immédiatement leur élan. Turati se hâta de proposer un échange, et à nouveau le nombre des pièces diminua sur l'échiquier. De nouvelles possibilités se dessinèrent, cependant personne n'aurait pu dire encore de quel côté pencherait le plateau de la balance. Loujine réfléchit longuement en préparant son attaque qui nécessitait une exploration préliminaire des variantes, au cours de laquelle chacun de ses pas réveillerait un écho dangereux – et il lui sembla qu'un dernier et immense effort ouvrirait devant lui la voie secrète de la victoire. Soudain il ressentit une douleur cuisante, bien qu'elle n'affectât pas son être véritable, et il poussa un grand cri en secouant sa main mordue par la flamme d'une allumette qu'il avait frottée en oubliant de l'approcher de sa cigarette. La douleur se calma aussitôt, mais dans le jaillissement de la flamme il avait entrevu quelque chose d'effrayant et d'insupportable. Il prit conscience des abîmes affreux où le plongeaient les échecs, jeta, malgré lui, un nouveau regard sur l'échiquier – et sa pensée s'alourdit sous le poids d'une fatigue qu'elle ne connaissait pas. Cependant les échecs étaient sans pitié, il était leur prisonnier et aspiré par eux. Horreur, mais aussi harmonie suprême : qu'y avait-il en effet au monde en dehors des échecs ? Le brouillard, l'inconnu, le non-être... Soudain il s'aperçut que Turati n'était plus assis, mais se tenait debout, les mains derrière le dos. "Partie interrompue, maître, dit une voix derrière lui. Notez votre coup. – Non, non, encore, supplia Loujine, cherchant du regard celui qui avait parlé. – Partie interrompue", répéta derrière lui la même voix, une voix frétillante. Loujine voulut se lever et n'y parvint pas. Il s'aperçut alors qu'il venait de reculer, sans quitter sa chaise, et que des inconnus s'étaient rués, féroces, vers l'échiquier, cet échiquier où, tout à l'heure encore, était concentrée toute sa vie, et qu'ils se disputaient et hurlaient en déplaçant vivement les pièces.
Vladimir Nabokov, La Défense Loujine, 1930
(traduction par Genia et René Cannac revue par Bernard Kreise, 1964, Gallimard, "Folio")
source BNF

neuf raisons pour ne pas jouer

Nous aurons à plusieurs reprises, tout au long de ce modeste ouvrage, pour aider à la compréhension de certains principes du jeu, l'occasion de parler des échecs.
Comprenez bien que ce n'est là qu'une béquille, imposée par la fâcheuse popularité de ce jeu minable en France.
Car, il faut bien se pénétrer de cette idée majeure : le GO, c'est l'anti-échecs.
Le jeu de GO n'est pas le jeu d'échecs japonais. Il existe un jeu d'échecs japonais, même qu'il s'appelle le Shôgi. On n'a jamais vu un joueur de GO jouer au Shôgi.
Qu'il nous soit donc permis de résumer ici tout le mal que nous pensons des échecs.
1. C'est un jeu féodal, fondé sur l'Exaltation du Tournoi et l'inégalité sociale.
2. C'est un jeu dont les règles varient tous les trois siècles.
3. C'est un jeu d'une antiquité contestable (à peu près contemporain de la Canasta !)
4. C'est un jeu qui (comme les Dames !) ne connaît que trois issues sans nuances : la victoire, la défaite, le nul. On gagne, on perd, certes, mais on ne peut pas gagner d'un point, ce qui est l'un des suprêmes raffinements du GO !
5. Pis d'abord, c'est pas un jeu qui rend poli !
6. Deux joueurs de force différente ne peuvent pas jouer ensemble avec intérêt pour le plus fort.
7. Une partie d'échecs dure tout au plus trente coups.
8. C'est un jeu confus où il n'y a pas deux pièces qui fassent la même chose.
9. Nous ne savons pas jouer aux échecs.
Il est inutile d'ajouter que le GO n'a aucun de ces manques (à l'exception du point n° 9, mais, en France, nous sommes à peu près les seuls à le savoir).
Pierre Lusson, Georges Perec, Jacques Roubaud, Petit Traité invitant à la découverte de l'art subtil du go, "Des échecs", 1969 (Christian Bourgois)

partie nulle, échec perpétuel

Après avoir manqué l'école trois ou quatre fois, Loujine avait découvert l'inaptitude de sa tante au jeu d'échecs. Ses pièces s'emmêlaient en une masse informe d'où émergeait tout à coup un roi sans défense et sans couverture. Mais le vieillard, lui, jouait divinement bien. Dès leur première rencontre – lorsque sa tante avait dit précipitamment, en enfilant ses gants : "À mon grand regret, je suis obligée de sortir, mais vous pouvez rester et jouer aux échecs avec mon neveu, merci pour ces magnifiques muguets", et que le vieillard s'était assis et avait dit en soupirant : "Il y a longtemps que je n'ai pas joué... eh bien, jeune homme, la main gauche ou la main droite ?" – dès cette première rencontre, Loujine (dont les oreilles, après quelques coups, étaient devenues brûlantes et qui ne pouvait plus avancer nulle part) avait eu l'impression de jouer à un jeu totalement différent de celui que sa tante lui avait appris. Une senteur exquise flottait autour de l'échiquier. Le vieillard appelait les chevaux des cavaliers et les officiers des fous ; et, après avoir joué un coup désastreux pour son adversaire, il annulait ce coup, puis, comme il eût démonté pour l'enfant le mécanisme d'un instrument précieux, il lui expliquait ce qu'il aurait dû faire pour éviter la défaite. II gagna facilement les quinze premières parties, sans avoir réfléchi une seule minute ; pendant la seizième, il se mit brusquement à réfléchir et eut de la peine à la gagner. Mais le dernier jour, après avoir vu le vieillard arriver avec un véritable buisson de lilas que l'on ne savait où fourrer et sa tante filer dans sa chambre sur la pointe des pieds pour s'éclipser, sans doute par l'escalier de service, Loujine, au terme d'un combat prolongé et très éprouvant (durant lequel il avait découvert que le vieillard pouvait souffler bruyamment) avait eu une brusque illumination – et cette sorte de myopie de l'entendement, qui lui voilait d'un angoissant brouillard les perspectives du jeu d'échecs, s'était dissipée – "Eh bien, partie nulle", avait dit le vieillard. Comme on remue le levier d'une machine détraquée, il fit avancer plusieurs fois la reine, de-ci, de-là, et répéta : "Partie nulle. Échec perpétuel." Loujine essaya, lui aussi, de faire fonctionner le levier, puis s'arrêta et, gonflant ses joues, demeura Ies yeux fixés sur l'échiquier. "Vous irez loin, dit le vieillard, si vous continuez ainsi, vous irez loin. De grands progrès. C'est la première fois que je vois cela... Vous irez très, très loin."
Vladimir Nabokov, La Défense Loujine, 1930
(traduction par Genia et René Cannac revue par Bernard Kreise, 1964, Gallimard, "Folio")

le cavalier noir

La porte où je sonnai me fut ouverte par un homme maigre, grand, aux cheveux en broussaille, en manches de chemise, sans col, mais l'encolure munie d'un bouton doré. Il tenait à la main une pièce de jeu d'échecs – un cavalier noir. Je le saluai en russe.
– Entrez, entrez, me dit-il jovialement comme s'il m'eût attendu.
– Je m'appelle Un Tel, dis-je.
– Et moi, s'écria-t-il, Pavl Pavlitch Retchnoy, et il partit d'un gros rire, comme si c'eût été une bonne plaisanterie. "S'il vous plaît", dit-il en pointant son cavalier d'échecs vers une porte ouverte.
La pièce où j'entrai était sans prétentions ; il y avait une machine à coudre dans un coin, et dans l'air une légère odeur de toiles pour lingerie. Un homme de lourde stature était assis de travers à une table sur laquelle était étalé un échiquier en toile cirée, dont les cases étaient trop petites pour les pièces. Il regardait celles-ci du coin de l'œil, tandis qu'au coin de sa bouche le porte-cigarettes vide regardait de l'autre côté. Un joli petit garçon de quatre ou cinq ans était agenouillé sur le parquet, entouré de minuscules automobiles. Pavl Pavlitch lança sur la table le cavalier noir et la tête de celui-ci se détacha. Noir la revissa soigneusement.
– Asseyez-vous, dit Pavl Pavlitch. C'est mon cousin, ajouta-t-il. Noir salua. Je m'assis sur la troisième (et dernière) chaise. L'enfant se releva pour venir à moi et me montra silencieusement un crayon rouge et bleu tout neuf.
– Je pourrais te prendre la tour, maintenant, si je voulais, dit Noir sombrement, mais j'ai un meilleur coup à jouer.
Il souleva sa reine et délicatement l'insinua dans un groupe de pions jaunâtres – dont l'un était figuré par un dé à coudre.
La main de Pavl Pavlitch fondit sur l'échiquier et il prit la reine avec son fou. Puis il rit à gorge déployée.
– Et maintenant, dit Noir calmement quand Blanc eut cessé de s'esclaffer, maintenant te voilà dans le lac. Échec, mon mignon !
Vladimir Nabokov, La Vraie Vie de Sébastien Knight, 1941 -  (Gallimard, " Folio ")
 

les échecs et la littérature

Les échecs occupent une place importante dans la littérature à toutes les époques. Le lecteur trouvera dans le guide du jeu d'échecs plusieurs extraits d'œuvres littéraires et des bibliographies de leurs auteurs. Les articles sur ce thème sont regroupés à la rubrique échecs et littérature qui est ci-dessous en lien.
lien:

lundi 16 février 2015

la ville de Babylone



De la forme et de la façon de l'échiquier et comment il est fait"
 
Il faut parler de l'échiquier, qui représente la ville de Babylone. Il dispose de soixante-quatre cases, car chaque quartier de cette cité, construite selon un plan quadrillé, occupait un espace de seize mille pas de côté. Ce chiffre, multiplié par quatre, équivaut à soixante-quatre mille lombards ou lieues gauloises.
En second lieu, il faut savoir que les rebords de la table, que l'on trouvait parfois relevés, symbolisent les hautes murailles qui entouraient ladite cité. Enfin, l'ultime chose à savoir est qu'il y a autant d'espace vide que d'espace occupé ; car celui qui a la charge de gouverner la nation doit veiller à respecter un rapport équitable entre les sols occupés par les cités, les camps retranchés, les champs cultivés et les habitations isolées.
Jacques de Cessoles, Le Livre des mœurs des hommes et des devoirs des nobles, au travers du jeu d'échecs, vers 1315 (adapté par Jean-Michel Péchiné, Gallimard, "Découvertes", 1997).
source la BNF

dimanche 15 février 2015

le joueur d'éches de Stefan Zweig

Le Joueur d’échecs (en allemand Schachnovelle) est une nouvelle de Stefan Zweig publiée à titre posthume en 1943. L'auteur l'écrivit durant les quatre derniers mois de sa vie, de septembre 1941 à son suicide ; le 22 février 1942. La traduction française parut en Suisse en 1944 et fut révisée en 1981 sans nom d'auteur.
Sur un paquebot s’opposent deux champions d’échecs que tout sépare : le champion du monde en titre, d’une origine modeste mais tacticien redoutable, et un aristocrate qui n’a pu pratiquer que mentalement, isolé dans une geôle privée pendant l'occupation de l'Autriche par les nazis.

De l'autre côté du miroir

De l'autre côté du miroir (titre original : Through the Looking-Glass and What Alice Found There) est un roman écrit par Lewis Carroll en 1871, qui fait suite aux Aventures d'Alice au pays des merveilles.
En France, ce roman a été publié pour la première fois en 1931 sous le titre La Traversée du miroir. Le titre sera changé en De l'autre côté du miroir lors de la réédition de 1938.
Alice, qui s'ennuie, s'endort dans un fauteuil et rêve qu'elle passe de l'autre côté du miroir du salon. Le monde du miroir est à la fois la campagne anglaise, un échiquier, et le monde à l'envers, où il faut courir très vite pour rester sur place. Alice y croise des pièces d'échecs (reine, cavalier) et des personnages de la culture enfantine de l'époque victorienne.
On retrouve dans ce roman le mélange de poésie, d'humour et de non-sens qui fait le charme de Lewis Carroll. Il vaut mieux connaître les règles de base du jeu d'échecs pour apprécier toutes les subtilités du roman.

vendredi 13 février 2015

150 parties d'échecs

Au premier coup d'œil, je fus dépité et amèrement déçu : ce livre que j'avais escamoté au prix des plus grands dangers, ce livre qui avait éveillé en moi de si brûlants espoirs, n'était qu'un manuel du jeu d'échecs, une collection de cent cinquante parties jouées par des maîtres. N'eussé-je pas été enfermé et verrouillé, j'aurais, dans ma colère, jeté le livre par la fenêtre, car, au nom du ciel, que pouvais-je tirer de ce traité ? Au temps où j'étais au gymnase, j'avais essayé, comme la plupart de mes camarades, de faire marcher des pions sur un échiquier, un jour que je m'ennuyais. Mais comment me servir de cet ouvrage théorique ? On ne peut jouer aux échecs sans partenaire, encore bien moins sans échiquier et sans pièces.
"Je feuilletai le volume avec mauvaise humeur, dans l'espoir d'y découvrir tout de même quelque chose à lire, un avant-propos, des instructions. Mais il ne contenait que des diagrammes de parties célèbres, avec au-dessous, des signes qui me furent d'abord incompréhensibles : a2-a3, Sf1-g3, et ainsi de suite. C'était, me semblait-il, une sorte d'algèbre, dont je n'avais pas la clé.
"Peu à peu, je compris que les lettres a, b, c, désignaient les lignes longitudinales, les chiffres de 1 à 8, les transversales, et que ces coordonnées permettaient d'établir la position de chaque pièce au cours de la partie ; ces représentations purement graphiques étaient donc une manière de langage. Je pourrais peut-être, me dis-je, fabriquer une espèce d'échiquier et essayer ensuite de jouer ces parties. Grâce au ciel, je m'avisai que mon drap de lit était quadrillé. Soigneusement plié, il finit par faire un damier de soixante-quatre cases. Je cachai alors le livre sous le matelas, après en avoir arraché la première page. Puis, je prélevai un peu de mie sur ma ration de pain et j'y modelai des pièces, un roi, une reine, un fou et toutes les autres. Elles étaient bien informes, mais je parvins, non sans peine, à reproduire sur mon drap de lit quadrillé les positions que présentait le manuel.

le passage du miroir

"Ce salon-ci n'est pas tenu aussi bien que l'autre", se dit Alice, en remarquant que plusieurs pièces du jeu d'échecs étaient tombées parmi les cendres du foyer ; mais, un instant plus tard, c'est avec un bref "Oh !" de surprise qu'elle se mettait à quatre pattes pour les mieux observer. Les pièces du jeu d'échecs déambulaient deux par deux !
"Voici le Roi Rouge et la Reine Rouge, dit (à voix très basse, de peur de les effrayer) Alice, et voici le Roi Blanc et la Reine Blanche assis sur le tranchant de la pelle à charbon... puis voila deux Tours marchant bras dessus, bras dessous... Je ne crois pas qu'ils puissent m'entendre, poursuivit-elle en baissant un peu plus la tête, et je suis à peu près certaine qu'ils ne peuvent me voir. J'ai l'impression d'être invisible..."
À cet instant, s'élevant de la table qui se trouvait derrière Alice, on entendit un glapissement qui fit se retourner la fillette, juste à temps pour voir l'un des Pions Blancs tomber à la renverse et se mettre à gigoter : elle l'observa avec beaucoup de curiosité en se demandant ce qu'il allait se passer ensuite.
"C'est la voix de mon enfant ! s'écria la Reine Blanche en s'élançant en avant et en bousculant au passage le Roi avec une violence telle qu'elle le fit choir au beau milieu des cendres. Ma chère petite Lily ! Mon impériale mignonne !" Et elle se mit à escalader avec frénésie la paroi du garde-feu.